Pour ce nouveau « chut, les enfants lisent… » j’ai la chance de pouvoir vous parler d’un livre qui ne sortira que le 29 août. En effet, c’est une épreuve non corrigée que j’ai reçu de la part des éditions Nathan pour pouvoir vous annoncer la sortie prochaine de ce livre captivant : Signé Poète X d’Elisabeth Acevedo.
Lauréat du National Book Award, du Printz Award, du Golden Kite Award, du Pura Belpré Award qui récompense une œuvre mettant en valeur la culture latino-américaine… N’en jetez plus ! Ce roman en vers de la jeune poétesse Elisabeth Acevedo, la plus jeune enfant d’une famille d’immigrants dominicains installés à New York, semble avoir fait l’unanimité dans les cercles littéraires outre-atlantique. Une œuvre bardée de tant de récompenses a tôt fait de décevoir, la barre placée trop haut… Eh bien non, Signé poète X confirme avec fracas qu’il mérite bien toutes ces louanges, et il recueille un suffrage supplémentaire, le mien, et vient définitivement se placer à la première place de mon classement personnel des œuvres de littérature jeunesse, le genre de livre qu’on veut faire découvrir à ses enfants en espérant qu’ils le dévorent d’une traite et vous en parlent ensuite avec complicité et passion.
Vendredi 24 août
Sur les marches
L’été ça sert à s’asseoir sur les marches
des immeubles, devant le porche.
Dernière semaine avant la rentrée, Harlem a les paupières
qui papillonnent. Septembre est proche.
Moi je balade mon regard sur ce quartier
que depuis toujours j’appelle chez moi. Je
regarde les vieilles dévotes qui rentrent de l’église,
flip-flap des tongs contre le bitume – et leurs langues déliées,
flots d’espagnol roulé sous le soleil des îles…
rabotent, il a fait ci, elle a dit ça, paroles, paroles…
Le tableau est planté. Xiomara est une jeune lycéenne de Harlem, d’origine dominicaine. Elle vit dans l’une des villes les plus représentatives de la modernité, du rêve américain, du melting pot, du creuset des cultures et du cosmopolitisme. Au commencement était le verbe est le titre de la première partie du recueil et il pose d’emblée le conflit entre l’univers familial de Xiomara pétri d’un catholicisme étouffant et mortifère, et son désir de construire une vie selon son libre arbitre et ses aspirations, de faire l’expérience des choses par elle-même, et en premier lieu de pouvoir découvrir son propre corps, l’amour et la sexualité sans être entravée par la honte et la culpabilité.
Le monde extérieur, celui au-dehors l’appartement familial, est volontiers hostile, il oscille entre l’endoctrinement de l’église où la jeune fille doit se rendre chaque jour sous peine d’excommunication par sa mère, et la violence raciste et misogyne qu’elle côtoie chaque jour dans son lycée. La colère sourde que Xiomara engrange jour après jour trouvera pourtant à s’exprimer de la plus belle des manières.
C’est par le verbe, non celui de Dieu et de la religion, mais le plaisir poétique, le plaisir de manier des mots, le goût de dire la vie et les émotions dans des poèmes, que Xiomara va s’émanciper et s’affirmer. Exister enfin.
Une constellation de figures gravite autour d’elle, s’attirant, se repoussant, recomposant sans cesse la mosaïque instable d’une personnalité en formation. Et c’est dans son carnet de poésies, ce carnet en cuir brun que son frère jumeau lui offre, son frère tant aimé, ce petit génie précoce qui affronte lui-même le regard de la société sur son homosexualité, que Xiomara va cristalliser toute sa créativité. Ce carnet que sa mère brûlera, littéralement. Mais les sensations et les mots, le goût de la poésie et du slam, était déjà ancrés à jamais en elle. Et poussée par son amour pour Aman, elle affrontera ses premières scènes de slam, déclamant devant un public nombreux auquel s’adjoindront finalement Mami et Papi, ces figurent parentales tant haïes et tant aimées à la fois, desquelles il était si important de se détacher et d’être fidèle dans le même mouvement.
Une mention toute particulière dans cette trajectoire tourmentée de la jeune fille vers les lettres et vers le bonheur va à Ms. Galiano, la professeure qui insista tellement pour que Xiomara vienne au club de lecture du lycée, qui lui répéta si souvent que ce qu’elle écrivait revêtait un caractère exceptionnel.
Je vais tout droit sur scène. Dire mon poème.
Le verbe c’est quelque chose de puissant.
Le besoin de Xiomara était si viscéral qu’au-delà d’une libération personnelle il est un hommage à des racines jamais oubliées sous le flot slamé de ses poèmes en anglais ou en espagnol, des poèmes d’émancipation :
Ancêtres : vous avez traversé les mers les plus rugueuses / & les mers & les mers / & de l’autre côté / reprenant encore / votre souffle / vous nous avez rêvés / sauvés des eaux / & nous nous élevons / grâce à / pour vous.
Signé Poète X
Elisabeth Acevedo
traduite par Clémentine Beauvais
Éditeur : Nathan
16,95€
C’est par ici, pour retrouver d’autres chut, les enfants lisent…